Face à face : Roger Chevreton - Denis Marcel
Saison 1984
Texte, photos et propos recueillis : Jacques Privat
 
Deux victoires dans leur catégorie, une super-finale chacun, le duel Roger Chevreton - Denis Marcel au championnat de France de Rallycross est ouvert. Pour l'instant, Chevreton tiens la tête de 4 points acquis à Pau derrière... Denis Marcel en super-finale.
 
Tous deux pilotent des voitures à quatre roues motrices, nouvellement autorisées en Division 2. Ces voitures "spéciales rallycross" dominent celles à propulsion classique.

Roger Chevreton est le seul, pas pour longtemps, à conduire une Citroën Visa 4x4 en moins de 1600 alors que trois concurrents ont modifié leurs voitures en Division 2 plus de 1600. Denis Marcel pilote une Matra Murena Roc 4x4 entièrement développée par Politecnic tandis que deux pilotes amateurs, Jean-Pierre Demoisson et Jacky Pivert, ont adapté une transmission intégrale à leur Alpine A310 V6. D'ailleurs Demoisson a remporté, hors championnat, le rallycross de Lédenon en l'absence de... Denis Marcel.

A vrai dire, Chevreton et Marcel bénéficient d'une excellente infrastructure pour réussir cette année. Chevreton, vieil habitué des pistes de rallycross en Talbot Rallye 2 depuis cinq ans (deux fois deuxième en 80 et 81, dixième en 82... Coupe Samba en circuit 83), est pilote semi-officiel Citroën : il dispose d'une Visa 4x4 dérivée de la version 1000 Pistes construite au service compétition de l'usine (675 kilos, 1 550 cm3, 150 chevaux) mais qu'il entretient lui-même dans le garage familial dans l'Indre. Outre les sponsors de Citroën (Total, Valeo, Marchal et Paris-Rhône), Roger Chevreton a la possibilité de trouver des soutiens additionnels non concurrentiels à l'usine : c'est ainsi que les peintures automobiles Sikkens ont apporté un supplément au budget de fonctionnement.

De son côté, Denis Marcel, qui évoluait depuis quatre ans avec une Alpine A310 1600, a sauté la barrière des plus de 1600 en Division 2. Septième en 80, cinquième en 81, deux fois second au championnat en 82 et 83, Marcel a pu réunir un budget suffisant (Ryobi et Sapecc) pour faire construire par Politecnic une Matra Murena à transmission intégrale animée par un moteur ROC (850 kilos, 2 500 cm3, 360 chevaux).

Chacun de leur côté, ils sont quasiment sans adversaires dans leur catégorie respective en Division 2. Cette situation ne durera pas ! Pas moins de trois autres Visa s'ajouteront d'ici peu (Mamers à Lunéville, Touroul et Archambault un peu plus tard) en Division 2 moins de 1600, Jacques Aïta, en plus de 1600, avec une Audi Quattro. Le seul gros problème pour eux est qu'ils n'ont pas participé aux deux premières épreuves du championnat (Le Creusot et Pau) et accuseront un retard important au championnat. Du fait que les trois moins bons résultats sont retirés sur neuf possibles, Mamers et Aïta prennent le train en marche, en ayant déjà utilisé deux de leurs trois droits à l'erreur !


Roger Chevreton
 


Denis Marcel
 
En attendant, intéressons-nous de plus près au cas de Chevreton et de Marcel. Quels sont les pilotes que vous craignez le plus au championnat ? Un pilote de la Division 1 ne pourrait-il pas créer la surprise ?

R. Chevreton : Effectivement un pilote de la Division 1 peut dominer sa catégorie et rafler quelques points en super-finale. En moins de 1600, je pense que Châteaux aura fort à faire avec les autres Golf de Paqueraud ou Lepers. Par contre, en plus de 1600, Bénézet, s'il est régulier avec sa Fiat Ritmo 130 TC... En fait mon problème sera la... Visa de Max Mamers et peut-être celle de Touroul en cours de championnat. Cela ne pourra qu'avantager Denis, qui, de plus, prendra des points en super-finale. Je n'ai pas vu de rallycross l'an passé, je ne me rends pas très bien compte de la compétitivité d'une Audi Quattro, en l'occurrence celle que va avoir Jacques Aïta, face à la Matra de Denis.

D. Marcel : Je ne pense pas qu'un pilote de la Division 1 domine largement sa catégorie. De toute façon, il y aura pour eux le problème de la super-finale dans laquelle les trois ou quatre points perdus pèseront tôt ou tard dans la balance. Bien sûr, je peux avoir des problèmes mécaniques sur la Matra conçue exclusivement pour le rallycross par rapport à un groupe A a priori plus fiable, mais dans l'état actuel, au vu des deux premières courses, je suis très confiant dans le matériel préparé par l'équipe Politecnic. Il faudrait vraiment se partager les victoires en Division 2 pour voir un pilote de la Division 1 bouleverser le championnat. Dans ma série, la Quattro d'Aïta c'est l'inconnu. Mon véritable problème viendra de la venue de pilotes étrangers comme François Monten l'an passé qui a gagné au Périgord et à Mayenne, prenant les points de la place à des pilotes français. La venue de pilotes étrangers avec des voitures de moins de 1 600 m3 n'arrivera pas à Roger.
 
Approuvez-vous la réglementation 84 qui autorise la transmission libre, autrement dit la transmission intégrale en rallycross, discipline pratiquée finalement par des pilotes amateurs ?

R. Chevreton : On ne peut aller en arrière de la réglementation actuelle. Les constructeurs construisent des groupes B 4RM pour les rallyes du championnat du monde; le rallycross doit s'adapter aussi. Ou on interdit les 4x4 et on ne suit pas la réglementation en vigueur au niveau international, ou on accepte la transmission libre. Avec des moyens réduits et du travail, un amateur peut réaliser une "spéciale rallycross" 4x4 qui marche. En partant d'une coque de Citroën Visa et en achetant uniquement les pièces spécifiques au rallycross (pont arrière, arbre de transmission, etc.), cela ne doit pas revenir très cher. Par contre si l'on n'autorise que les groupes 4x4 en rallycross, cela coûtera infiniment plus cher.

D. Marcel : Je suis persuadé qu'une voiture à transmission intégrale construite par un pilote amateur reste moins chère qu'une bonne voiture du groupe A évaluant en Division 1. Ces voitures sont cernées par la réglementation internationale. Compte tenu du type particulier d'épreuve qu'est le rallycross, il faut changer fréquemment des pièces mécaniques qui travaillent beaucoup plus qu'en utilisation moins intensive. Je suis persuadé que bientôt on verra beaucoup de Visa 4x4 en moins de 1600.
 
C'est la première fois que vous conduisez une voiture à transmission intégrale. Y a-t-il de grosses différences de pilotage ?

R. Chevreton : Sur le sec, je n'ai pas trouvé. Je suis surpris par sa facilité de conduite; la Visa n'est pas "vicieuse", elle me rappelle la Rallye 2. A Pau, sur une piste grasse, j'ai eu plus de difficulté car elle sous-vire trop dans les virages serrés : cela est surtout gênant dans les épingles, à la limite avantageux dans les grandes courbes. En tout cas, je n'ai pas de réaction du train arrière et je suis agréablement surpris par le freinage, les distances étant nettement raccourcies. En fait le gros avantage d'une 4x4 c'est lorsque l'adhérence n'est pas bonne; je ne suis pas convaincu de sa supériorité sur un terrain parfaitement sec et exempt de poussière au sol.

D. Marcel : Le défaut des 4RM, ce sont ces réactions différentes par rapport à une voiture classique. Il faut réapprendre tous les réflexes : freiner beaucoup plus tard, accélérer beaucoup plus tôt dans le virage. Sur la Matra, j'ai un problème en cas de changement d'adhérence d'une roue par rapport à l'autre. C'est pour cela que je ne suis pas allé à Lédenon pour la course hors championnat. Politecnic est en train de remédier à ce problème. De toute façon, la Matra Murena est une super-voiture : au vu des temps, nous sommes toujours 2 à 3 secondes plus vite qu'une voiture identique à deux roues motrices, malgré les deux premiers circuits pas très avantageux pour une voiture puissante.
 
La réglementation française (plus et moins de 1 600 en Division 1 et 2) peut favoriser un pilote régulier ou sans adversaires dans sa catégorie au détriment de la lutte sportive qui peut régner dans une autre série. Ne serait-il pas préférable d'adopter le règlement européen, Division 1 et 2, mais cylindrées confondues, qui a l'avantage de ne pas trop disperser les forces en présence ?

R. Chevreton : Si on applique le règlement européen sans différenciation de cylindrée, les grosses voitures seront immanquablement devant. A partir du moment où on crée des catégories, il y aura toujours des pilotes favorisés. En France, les pilotes les plus nombreux sont d'ailleurs, pour une question de prix de revient en moins de 1600, aussi bien en Division 1 qu'en Division 2. Les voitures de moins de 1600, de par leur puissance moins élevée, seront toujours derrière les plus de 1600 en super-finale, uniquement; parce qu'elles démarreront moins bien au départ. Ainsi à Pau, j'allais plus vite que Denis. Mais au départ, il m'a distancé et je n'ai rien pu faire par la suite.

D. Marcel : En France, les moins de 1600 ont leur raison d'être, même si le fait d'avoir quatre catégories dévalorise les victoires. Bien sûr, il serait préférable d'aligner la réglementation française sur le modèle européen, mais ce serait oublier que les moins de 1600 sont les plus nombreuses dans toutes les disciplines.
 
Vous avez une grande expérience du rallycross. Comment voyez-vous l'avenir de cette discipline que beaucoup considèrent comme une formule sport-spectacle digne des courses de Production ? Peut-on la faire évoluer ?

R. Chevreton : Je partage tout à fait cet avis. Le rallycross doit rester une fête. C'était le but de Daniel Gérard et Michel Hommell en 1976. Depuis deux ou trois ans, cette idée première a quelque peu disparu : par exemple, il n'y a plus de présentation des pilotes sur les capots de leur voiture. C'est une erreur. L'avantage, par rapport aux courses de Production, c'est que les spectateurs n'ont pas besoin de connaître la réglementation de la course pour comprendre le rallycross. Il y a cinq voitures au départ, quatre tours; le premier qui arrive a gagné, c'est tout. Je pense qu'un week-end de rallycross devrait être mieux rempli : la venue de formule monotype comme le SRT Cross ou le Challenge Fiat Cross de 1979-80, le Renault Cross maintenant, est importante pour le spectateur. Il faut que le spectacle soit permanent, sans temps morts. Il faudrait remettre des primes de départ pour attirer des pilotes étrangers et des pilotes français connus comme Beltoise, Pescarolo mais aussi Trintignant. Il y a des progrès encore à faire au niveau des circuits : Le Creusot, par exemple, n'est pas assez rapide, on ne peut pratiquement pas doubler, sauf sur une faute de pilotage. Par contre à Alençon ou à Marville, qui sont plus rapides, les possibilités de dépassement sans se heurter sont possibles. Enfin, si le malaise entre pilotes a disparu, il semble qu'il n'en soit pas autant entre organisateurs. L'exclusion de Lédenon du championnat de France au profit de Solgne, malgré une inspection défavorable du circuit, n'est pas normale. A la commission de rallycross, Bénézet est le seul pilote. Est-il bien entendu ? En fait, il y a encore beaucoup à faire...

D. Marcel : L'avenir du rallycross passe par la venue de têtes d'affiche, par une bonne promotion, par l'amélioration des circuits. Ce dernier point est important : il faut impérativement sur un circuit une zone de freinage stabilisé en goudron sur toute la largeur, de façon à permettre les dépassements. Si, sur deux circuits, la promotion est bonne, Lohéac et Solgne, il n'en est pas de même pour les autres. S'il y a promotion, presse locale, radio libre, il y a du public. D'autre part, il est anormal qu'il n'y ait pas plus de challenges plus intéressants : chaque fois, on nous promet que l'année suivante, ce sera mieux, mais c'est toujours pareil. Le montant des prix d'arrivée est également identique depuis de nombreuses années ! Le rallycross, il faudrait le mener comme une entreprise, professionnellement et non pas bénévolement : en fait, il faudrait trouver une personne disponible, sérieuse, pour améliorer la promotion, mettre sur pied d'autres challenges. Nous venons de créer une association, l'APCR, l'association des pilotes et constructeurs de rallycross, dont les buts sont justement de promouvoir le rallycross, de défendre les pilotes en cas de litiges, de faire améliorer la sécurité des circuits et leur aménagement. Mais tout n'est pas sombre, loin de là : le rallycross a un rapport renommée/prix de revient/plaisir intéressant pour un pilote amateur. Avec un budget identique en Production ou en rallye, je serais relégué dans l'anonymat. En rallycross je peux être au top-niveau et avoir des retombées importantes pour les sponsors, surtout en presse régionale. Le bilan reste tout de même positif : le rallycross reste une formule très spectaculaire et les spectateurs viennent assez nombreux...