Pailler double vue...
Saison 1992
Texte et photo : Jacques Privat
 
Depuis 1977, année de naissance du championnat de France de rallycross, un seul pilote avait remporté par deux fois le titre, Max Mamers en 82 et 83. Jean-Luc Pailler a attendu 1992 pour lui succéder, et mieux, il a signé onze victoires en... onze courses.

La vie est ainsi faite. Pendant dix ans, Jean-Luc Pailler a végété en 2CV Cross. Bien sûr, il s'est imposé deux fois, en 83 et 84. Mais cela ne lui a pas suffi pour passer à l'échelon supérieur, ne serait-ce en Autocross, puisque le Brestois continua sur une "2 pattes" en 85 et 86. Chef d'équipe aux transports urbains de Brest, Pailler ne pouvait pas, financièrement parlant, faire un effort de plus. Avec l'aide d'un ami, Yvon le Loc'h, il trouve une BX Sport accidentée, des petits budgets de fonctionnement, et passe carrément au rallycross en 87 ! Ce fut l'engrenage. Une troisième place derrière Fréquelin et Saby en 88 lui a ouvert les portes de Citroën Ouest Compétition pour 89. Le déclic ! À partir de cette saison, Pailler évoluera dans le semi-professionnalisme puis abandonnera carrément sa concession Liqui-Moly dans le Finistère, pour se consacrer totalement à la course mi-92, à 38 ans, après 17 ans de courses...



 

Saison de rêve

Comme l'an passé, Jean-Luc Pailler est reparti sur une BX 4x4. Non pas celle de l'an dernier, mais la BX du Trophée Andros, une évolution de la version 91. Plusieurs changements n'ont pas ébranlé le Brestois. Tout d'abord il est passé sous la coupe de Citroën Sport, ce qui n'a pas fait très plaisir à ses chauds supporters de l'usine Citroën Ouest, puis il a changé de partenaires, passant de La Poste et Steco, à Acuvue, tout en conservant Total et Norma. Enfin il a monté sa propre structure Pailler Compétition, à Brest, avec Thierry Le Guily. Malgré tous ces bouleversements, la machine Pailler, aguerrie par six victoires en Division 2 l'an passé, a poursuivi sur sa lancée en 92. Et de quelle manière !

Ainsi Jean-Luc Pailler a régné en maître absolu sur la Division 2. Jamais auparavant, dans aucune autre discipline du sport automobile que ce soit, un pilote avait réalisé un tel exploit. Onze victoires en onze courses ! Même Alain Prost en 1976 avait dû laisser en Formule Renault la dernière victoire à Imola à Patrick Piget après avoir remporté douze courses d'affilée... Remarquez, il faillit arriver pareille mésaventure à Pailler lors de la dernière course à Paris-Trappes. Ainsi Christophe Vaison, lassé par tant de domination, s'est laissé tenté par un départ à la Bénézet, un tout petit peu anticipé, juste un petit peu. Pas vu, pas pris, et Vaison a merveilleusement réussit son envolée, devant tous les observateurs éberlués, disons blousés ! Et pendant trois tours, Vaison est arrivé à contenir Pailler, excédé à l'idée de ne pas ravir un onzième succès... La raison du plus fort a prévalu, et c'est non sans un certain acharnement, que Pailler est arrivé à ses fins...

Outsiders

Face à la supériorité de Pailler, les autres pilotes de la Division 2 sont à classer dans le clan des... outsiders. Le plus valeureux d'entre eux est sans conteste Christophe Vaison. Élevé au rang de pilote officiel Yacco, Vaison avait en charge le développement de la Citroën AX 4x4 jaune et verte. Propulsée d'abord par un 1470 cm3 puis un 1750, la petite AX a pêché avant tout par un manque de souplesse moteur, ce qui a obligé Vaison a joué plus que de raison du levier de vitesses. En passant au 1750 à mi-saison, il y eut un mieux de ce côté-là. Cinq fois second dont quatre fois consécutivement en fin de championnat derrière Pailler, Christophe Vaison, quatrième au classement final, a été de loin le plus régulier. Reste maintenant à encore augmenter la compétitivité d'ensemble de cette AX construite de A à Z par Denis Mathiot. Il est clair que le transfert de toute la mécanique dans une ZX plus moderne, aux voies et à l'empattement plus larges serait souhaitable, mais il semble là qu'il y ait un veto de la part de Citroën...

L'arrivée d'une nouvelle voiture, la Ford Escort RS2000 4x4 de Christian Ménier a créé l'événement en début de championnat. Construite en "béton" par Gordon Spooner en Angleterre, cette superbe Escort péchait par un poids par trop supérieur aux 1100 kg requis et par un certain manque de fiabilité de l'ensemble de transmission Quaife, notamment lors d'essais libres entre deux courses. Reconstruite sur une base de vraie Escort Cosworth et dotée d'une transmission X-Trac plus adaptée, sûr que cette Escort sera appelée à jouer les premiers rôles en 93, faisant oublier à Christian Ménier sa sixième place au championnat 92. Paul Châteaux s'est mis en tête de développer lui aussi une Escort RS2000 4x4. Pour cela, il a racheté la Sierra Cosworth RS500 4x4 de Paul Surand qu'il a cannibalisée. Au fur et à mesure de la saison, cette Escort a évolué notamment au niveau de la transmission, en provenance directe de Ford Motorsport en Angleterre. Le titre de gloire de Châteaux : il a acquis une victoire en Division 2 dans la seule course hors-championnat disputée cette année, à Lessay, fin septembre !

D'autres pilotes ont marqué de leur empreinte la Division 2. Comment ne pas partager l'enthousiasme et la ténacité de Michel Liger qui a entièrement pensé et construit une BMW 325i 4x4. Il a troqué cette année son 6 cylindres M1 contre un 4 cylindres turbo née Megatron qu'il a accouplé à une boite de F1 et monté sur une suspension hydropneumatique de BX. Sa plus belle course à Rodez, où il finit second après avoir remporté la finale C puis B ! Une dixième place au championnat le récompense de son opiniâtreté.

De leur côté, les Renault 21 Quadra ont moins brillé que l'an passé. Figées dans leur évolution 91, il a fallu que Philippe Chanoine mette du coeur à l'ouvrage pour gommer son handicap de puissance par rapport aux "maîtres" de la Division 2. Troisième à Trappes, trois fois quatrième à Nantes, Rodez et Alençon, Chanoine est aux portes des 10 premiers du championnat. Quant à Jean-Jacques Bénezet, il a payé très cher son ardeur de Lunéville, sanctionnant son excès de fougue par une reconstruction complète de sa 21 Quadra. Des nouveautés pour les Renault : Chanoine passerait à la 19, et Bénézet ferait évoluer grandement son moteur...

Sturm, la tempête



Alain Sturm (BMW M3)
 

La totale domination de Pailler en Division 2 n'a pas été imitée en Division 1, loin de là. Ainsi cinq pilotes se sont imposés successivement : Alain Sturm et "Knapick" trois fois chacun, Pierre Flament et Sylvain Poulard, deux fois, et Pierre-Alain France, une fois. Il est incontestable que les BMW M3 ont été les reines de cette Division 1 puisque Sturm, "Knapick" et Flament ont remporté huit des onze courses.

Alain Sturm ne court que depuis deux ans en rallycross. Cet ancien kartman s'est essayé en rallycross en 90 à Lohéac, avant d'enchaîner sur une saison complète en 91, agrémentant son parcours par une belle sixième place. Il remis cela en 92, toujours sur la même BMW M3. Le bilan est éloquent : trois victoires, trois secondes places et trois troisièmes places. Ce qui le confirme à la seconde place du championnat. Même s'il n'a pas dominé "à la Pailler" la Division 1, il est clair que Sturm a été l'homme fort des groupe A deux roues motrices. Deux petits tours et puis s'en va. En effet, le carrossier rennais a décidé de tirer sa révérence au sport automobile, pour s'occuper de son fils, 13 ans, qui a déjà attrapé le virus du karting. Bravo Monsieur Sturm ! Sylvain Poulard aurait pu menacer Sturm au championnat. Poulard, 23 ans tout juste, est passé de la Sierra groupe N à la Sierra RS 500 ex-Ménier. Un énorme bond en avant grâce à Alain Nouveau, le directeur de l'Ecole de Conduite Forget à Rennes, et qui misa gros sur ce jeune pilote. Une période d'adaptation fut nécessaire, et dès Alençon, septième épreuve, Poulard explosa ! Dès lors, la seconde demi-saison fut en tout point exemplaire : deux victoires et trois secondes places, ce qui lui fit remonter à grandes enjambées son retard de début de championnat, coiffant sur le fil Vaison et Flament pour la troisième place finale...

Pierre Flament misait gros sur ce championnat 92, d'autant plus qu'il était le seul à piloter une BMW M3 Sport Evolution, la seule des trois M3 engagées. Une première victoire à la première course confirma son ambition. Par la suite, Flament connut des hauts et des bas. Des hauts à Faux- Bergerac, où il enflamma la foule lors de la manche française du championnat d'Europe, des bas à Rodez, à Lessay et à Lohéac, où par deux fois il cassa son moteur. Longtemps en lutte pour le titre de "champion de France de Division 1", Pierre Flament dut se faire une raison à partir de Lohéac. Une belle quatrième place, ex-æquo avec son compagnon du team Yacco Christophe Vaison, lui fait quelque peu oublier son amertume.

De son côté, "Knapick" court pour son unique plaisir. C'est bien pour cela qu'il décida de ne faire cette année que les courses qu'il aime. Sur les neuf premières épreuves, il en sauta quatre, se rappelant aux bons souvenirs de tous, en remportant trois courses sur les cinq restantes ! Lui aussi continua à faire confiance à la BMW M3, celle-là même que Max Mamers fit débuter en 87... Septième au championnat, Hervé "Knapick" ne regrette pas son choix... même s'il veut prouver à tout le monde qu'il peut mieux faire en 93...


Sylvain Poulard (Ford Sierra Cosworth RS500)
 


Pierre-Alain France (Renault Clio 16S)
Le seul succès d'une Trac'avant cette saison !
 
Au fil des ans, les tractions avant ont de plus en plus de peine à tirer leur épingle du jeu. Avant, il y avait maître Pailler qui arrivait à soutenir le train imposé par les Ford Sierra et les BMW M3 avec sa "caisse de beauf ", la BX GTi 16 soupapes. Cette saison un quatuor de Renault Clio 16S ont réussi, souvent sur le gras, à tenir de temps en temps la dragée haute aux propulsions. Le mieux classé, Michel Crespel, huitième, peut s'enorgueillir d'avoir par trois fois réalisé le meilleur temps aux essais chronométrés... Huit fois qualifié en finale A, Crespel a été de loin le plus régulier des pilotes de Clio. À sa charge, il bénéficiait sans doute du meilleur moteur et de la boîte six vitesses. Mais celui qui a signé la seule victoire d'une trac'avant en D1 est Pierre-Alain France. Parti de la seconde ligne à Rodez, PAF a bluffé tous ses adversaires avec sa Clio bleu-blanc-rouge. Deux autres pilotes de Clio, Francis Morel et Didier Lohézic, respectivement 16e et 17e, se sont fait devancés au championnat par l'étonnante Renault 19 16S d'Eddie Lemaitre, 12e.

Patrick Herbert avait le redoutable privilège de passer de la BMW 325i M1 4x4 à la Ford Sierra Cosworth RS500 ex-Vaison. La période d'accoutumance fut longue et laborieuse. Et ce n'est qu'à partir de la mi-championnat, Lunéville exactement, qu'Herbert arriva plusieurs fois à se qualifier en première ligne, sans toutefois concrétiser par une victoire. Dommage ! Une huitième place au championnat le satisfait pleinement.

Stalin souverain

Il est clair que la Division 1 ou 2, de haut niveau, n'est plus accessible qu'à des pilotes hautement sponsorisés. Pour les autres, il reste les mêmes divisions pour faire de la figuration, ou bien le Groupe N-Production ou la Division 3. Au fil des ans, aucune d'entre elles ne prend l'ascendant sur l'autre. Mais contrairement au championnat de France, seuls deux challenges AFOR permettent de récompenser les plus méritants, sur la totalité des courses disputées. Avec "seulement" une victoire, Patrick Stalin fait triompher pour la troisième fois consécutive une Renault au Challenge AFOR des Groupe N-Production. Il est suivi de très près au "championnat" par Patrice Poulain, tout aussi régulier, mais vainqueur de deux épreuves. Inconstance notoire des Ford Sierra Cosworth, qui sont pourtant sur le papier, les voitures à battre : les trois victoires de Claude Perrigaud et les quatre de David Meslier n'ont pas pu faire oublier leur mauvaise prestation de fin de championnat pour Perrigaud et de début de saison pour Meslier. Avec six vainqueurs différents lors des douze courses disputées, le Groupe N-Production démontre sa vivacité. D'ailleurs, la FFSA a décidé de le faire grimper au rang de Coupe de France l'an prochain.



Troisième victoire consécutive d'une Renault en Groupe N.
Cette fois-ci se fut le tour de Patrick Stalin, juste devant Patrice Poulain.
 

Lefeuvre conclut

La Division 3 réservée aux seules groupe F, est-elle la chasse gardée des Porsche 911 SC 3,5L ? Jean-Claude Savoye et Denis Moreaux sur leur R5 Turbo ont tenté de leur barrer la route, en vain. Avec sept victoires pour les Porsche de Lefeuvre, Le Duigou et Caradec contre quatre pour les R5 Turbo, le constat est clair. Pourtant, Savoye y a cru longtemps. Mais trois problèmes moteur successifs en fin de saison lui ont fait perdre espoir d'autant plus que Lefeuvre réalisait le break en remportant une victoire à Lessay, un succès hors-championnat qui comptait double au challenge AFOR. Ainsi Christian Lefeuvre succède à Jean-Luc Le Duigou, une Porsche à une autre Porsche. La Division 3 rassemble une flopée de pilotes, surtout dans l'Ouest, et il n'est pas rare de voir cette catégorie supplanter les trois autres au niveau du nombre des engagés. Que la commission de rallycross en prenne conscience... pour l'avenir.



Quelles luttes en Division 3 ! Et toujours une Porsche en tête au classement final.
Lefeuvre succède à Le Duigou.
 

Perspectives 93

Pour l'an prochain, aucun changement technique. En effet, la FFSA ne suivra pas, dans l'immédiat, l'option européenne en Division 1, c'est-à-dire le passage des groupe A deux roues motrices au groupe N quatre roues motrices. Deux modifications ont été tout de même apportées la suppression des Évolutions 500 en Division 1 et le nouveau label donné au challenge Groupe N-Production qui prend le nom de Coupe de France. Cela dit, la FFSA, par l'entremise de la Commission de rallycross (qui, entre nous, ne s'est pas réunie depuis près de six mois !), aurait pu édicter un barème des prix d'arrivée, à l'instar de ceux des Divisions 1 et 2....

Côté pilotes, ceux de la Division 2 attendent patiemment la décision de Jean-Luc Pailler et de son sponsor, Acuvue. Participera-t-il uniquement au championnat d'Europe ? Accordera-t-il la priorité au championnat de France ? Nos oreilles indiscrètes se sont baladées lors de la remise des prix AFOR à la Rochelle, le 21 novembre dernier. Pailler participerait en priorité au championnat d'Europe, et prendrait part à quelques épreuves du championnat de France avec la nouvelle BX, la Xantia ! Ce qui remplirait de joie les Vaison, Ménier, Liger et consorts... qui eux, poursuivront sûrement avec leurs voitures de 92. Un seul, pour l'instant a décidé de changer de monture, c'est Philippe Chanoine qui passera de la 21 Quadra à la... 19 4x4, plus compacte et plus légère, sous l'œil bienveillant de Renault Sport.

Côté Division 1, pour le moment, une seule nouveauté, c'est l'acquisition par Bernard Jestin, au soir de Trappes, de la BMW M3 d'Alain Sturm, le jeune retraité. Parmi les supputations, glissons l'envie de Citroën Ouest Compétition de revenir dans cette catégorie. On ne sait pas pourquoi, mais nous pencherions vers une ZX 16V groupe A avec comme pilote... Pascal Gloux, le virtuose de la Visa en Division 3... Une question, la future homologation de la Clio 16 S en 2 litres risque-t-elle de chambouler la hiérarchie établie ? Francis Morel avait quelque peu devancé l'échéance, sans gros succès. Wait and see, d'autant plus que les Ev.500 (Ford Sierra Cosworth et BMW M3), n'auront plus droit de cité.

À noter que deux propositions de formule de promotion ont été faites : une avec des monoplaces carrossées animées par un moteur de moto, une avec des voitures Suzuki Swift livrées prêtes à courir à chaque course. Décisions imminentes.

De toutes façons, il est clair que l'intérêt sportif du championnat 93 repose sur la participation prioritaire ou non de Jean-Luc Pailler au championnat d'Europe. Pailler parti en campagne européenne et c'est tout qui est remis en cause ! Le championnat peut même être remporté par un pilote de Division 1... Fin décembre, nous en saurons plus.