Jean-Luc Pailler : "J'ai vécu un rêve"
Saison 1993
Texte et photo : Jacques Privat
 
Le petit pilote de 2CV Cross est devenu grand. Il vole de succès en succès, obtenant trois titres consécutifs de champion de France et mieux encore cette année, un premier sacre européen.

Les pilotes français ont toujours snobé le championnat d'Europe de rallycross. Que voulez-vous, nous avons sur notre sol, un des plus beaux (qui a dit le plus beau ?) championnats en Europe... Alors pourquoi aller voir ailleurs lorsque l'on a onze belles pistes en France ? Mais Jean-Luc Pailler a relevé le défi, poussé, soutenu par un sponsor, Acuvue. Et après un brillant début de saison (quatre courses, trois victoires), Jean-Luc a marqué le pas. Le championnat d'Europe s'est joué à la dernière course, à Buxtehude, tout au nord de l'Allemagne, près de Hambourg. Et le rêve fou s'est réalisé... à deux tours de l'arrivée. Un grand moment partagé par peu de Français ! Quelques semaines après, les bulles de champagne se sont évaporées...

Jean-Luc, tu as réalisé un superbe début de saison, remportant trois victoires lors des quatre premières courses. Après tu as marqué le pas. Pourquoi ?

J'ai eu des problèmes techniques en Suède. Les jumps sur un circuit de rallycross, je ne connaissais pas ! J'ai cassé une transmission à l'avant, puis à l'arrière. Je n'avais jamais connu de gros problèmes techniques sur la BX. Il fallait que cela arrive un jour ! Et puis en Finlande, huit jours plus tard, on s'est aperçu que la voiture ne démarrait pas bien. Un plateau d'embrayage était voilé. J'ai quand même fini cinquième. Deux problèmes techniques qui ne m'ont jamais fait douter. Il suffit d'analyser le problème, d'y remédier afin qu'il n'arrive pas une seconde fois !
 

As-tu pêché par excès d'optimisme en Belgique ?
Non. Les organisateurs m'avaient promis que l'extérieur du virage était balayé. Ce qui ne fut pas fait. Si tu regardes les photos, j'étais largement devant Schanche. J'ai été surpris par ce premier droite très glissant. C'est tout. Mais je me suis bien rattrapé une semaine plus tard en Hollande !

Les circuits européens sont-ils différents des circuits français ?

Les circuits français sont de meilleure qualité que les européens. Dans les pays nordiques, à part la Norvège qui n'est pas mal, la Suède et la Finlande, il y a des trous qui se creusent...

Les rallycross nordiques sont-ils toujours aussi populaires ?
En Finlande, il n'y avait pas beaucoup de public. Par contre en Suède et en Norvège, c'était noir de monde. En Norvège, c'est plus qu'à Lohéac ! Martin Schanche est une véritable idole chez lui...

Est-ce que ta voiture a beaucoup évolué entre chaque course ?
Il y a eu un développement moteur fait chez Citroën Sport en début de saison. On a essayé d'autres turbos, d'autres petites choses qui ne nous ont pas apporté beaucoup plus.



Jean-Luc s'est parfaitement intégré aux pilotes européens.
A l'image de Per Eklund,  ils furent nombreux à venir l'encourager.
 

Les deux pilotes Citroën avaient-ils les mêmes moteurs ?
Avec Kenneth Hansen, nous avions tous les deux la même mécanique. Il a monté un turbo différent, plus gros à priori. C'est tout. Ah, oui, il avait un embrayage Sachs.

Est-ce que Citroën Sport vous a donné des consignes en fin de saison ?
Pas du tout. Lorsqu'après la Hollande, j'étais ex-æquo avec Hansen. Guy (Fréquelin) nous a dit, chacun pour soi, mais à la régulière. Et ça s'est toujours très bien passé avec Kenneth (Hansen).

Il est clair que si tu n'avais pas eu l'aide technique de Citroën Sport, tu n'aurais pas obtenu de tels résultats depuis trois ans...

C'est évident. Il aurait fallu que l'on développe un moteur à partir de la base d'un Peugeot 205 T16. Pas facile. Et avoir le soutien technique d'un constructeur est primordial. Capital même. On a pu chiffrer cet apport technique avec Monique Grout la directrice d'Acuvue. L'apport de Citroën Sport est plus de la moitié du budget global. De toute façon, c'est quasiment impossible de monter une telle mécanique dans son coin...

La BX possédait-elle un avantage par rapport aux autres voitures ?
En châssis, je pense que l'on n'était pas mal, à part les bras tirés à l'arrière. Je crois que c'est Martin Schanche qui avait la meilleure voiture, une Ford Escort Cosworth.

Quelle est l'ambiance entre pilotes en championnat d'Europe ? N'y a-t'il pas d'animosité entre Scandinaves ?
L'ambiance est bonne mais à la fin j'ai ressenti un changement. Les Norvégiens ne voulaient pas que le Suédois Kenneth Hansen remporte un cinquième titre, et surtout égalise le record de Martin Schanche. Et puis il y a un vieux contentieux entre Skogstad et Hansen, qui date de la Division 1 ! Même Eklund battu d'un point par Hansen en championnat de Suède ne "souhaitait" pas voir gagner la ZX rouge !

Quel état d'esprit avais-tu quand tu es arrivé à Buxtehude pour la dernière course ?
Je n'avais rien à perdre. Je me suis dit que l'on allait tout faire pour gagner. Eklund était inaccessible, Schanche était très vite et je savais, dès la seconde manche, que je ne pouvais pas me qualifier en première ligne. Mais je me sentais fort. Quand je passais devant Hansen et que je le voyais pâle comme un mort, et que moi j'étais très calme, je crois que ça l'a marqué ! Et puis il a fait un choix de pneus osé pour la finale, des slicks retaillés, alors que moi j'ai préféré des Avon pavés. Tout le week-end, il était derrière. Mais c'est vrai, quand je l'ai vu partir devant moi en finale, je n'avais pas gagné, loin de là... Et la chance a voulu qu'il crève à l'arrière à deux tours de l'arrivée.



Une dernière saison de rêve pour la BX, avant de laisser la place à une Xantia...
 

Qu'est-ce qui t'apporte le plus de joie : tes trois titres français ou celui de champion d'Europe ?
L'européen bien sûr. C'est une concrétisation. Et puis il tombe à point avant de passer à une autre voiture. La BX n'est plus construite, et c'est un nouveau challenge que d'engager une Xantia.

Quel est le meilleur souvenir 93 ?
La victoire au Portugal. La première devant une foule incroyable et les deux victoires à Lohéac, France-Europe. Elles n'étaient pas évidentes à obtenir. Crois-moi. Et puis l'arrivée à Buxtehude. Un moment fort ! Toute la pression est tombée...

Tu as "végété" pendant dix ans en 2 CV Cross. Depuis 1989, ton parcours sportif s'est accéléré à la vitesse grand V. As-tu l'impression de vivre un rêve ?
Il y a 10 ans, il est évident que je ne pensais pas du tout monter ma propre équipe, et gagner plusieurs titres français, voire un européen. Mais il y a quelques années, quand Bernard Hainry, de Citroën-Rennes, a fait appel à moi pour conduire une BX 16 soupapes, j'ai commencé à y croire. Et mon objectif a été d'arriver là où je suis maintenant. Et je dois tout à trois personnes de Citroën-Rennes, Messieurs Génovèse et Jutier, et Bernard Hainry. Et puis un gars comme Daniel Balu est venu m'aider depuis le début. On ne peut pas oublier ça ! C'est vrai cette année, j'ai vécu un rêve...

L'année dernière, tu as dû te restructurer, et monter ta propre équipe, Pailler Compétition. Cela s'est-il déroulé sans problèmes ?
Il faut savoir que chez Dynam Moteur c'est Thierry le Guily qui s'occupait de l'entretien de ma voiture. Il était mécanicien. Maintenant, il dirige ma structure, et il a fait grandement évoluer ma voiture.

Le fait d'avoir couru championnat de France et d'Europe, cela posait-il des problèmes logistiques ?
Non, pas du tout. J'étais parfaitement organisé. J'ai trois salariés. Thierry le Guily, Jean-Yves et Pascal travaillent à plein temps sur la voiture. Et les week-ends de course, Daniel Balu et Didier Cogrel, deux bénévoles, complètent l'équipe.

L'année prochaine, vas-tu te lancer dans le même challenge, France-Europe ?
Vis à vis de Citroën je suis obligé de le faire, sans parler des partenaires que j'aurai. Et puis il est impératif de faire rouler la Xantia. L'objectif est toujours de gagner ! Mais les autres vont beaucoup travailler cet hiver, les Schanche, les Kristoffersson, les Hansen, les Eklund. Ce sera plus dur !

Où en est la construction de la Xantia ?
Le coque est finie. Le moteur est positionné ainsi que les transmissions. Et Thierry le Guily travaille sur les dessins d'un train avant modifié, et d'un train arrière tout à fait différent que sur la BX, compte-tenu de tout ce que l'on a appris cette année.

Aurais-tu pu courir avec la Xantia cette saison ?
Citroën Sport voulait que l'on roule avec. Ils étaient prêts à nous envoyer dix mécaniciens, des ingénieurs, un maître d'œuvre pour finir de la monter ! On ne pouvait pas. Le challenge 93, France-Europe, était en route. Pour Guy (Fréquelin), il suffisait de transférer des pièces de la BX sur la Xantia. Et puis, roule... Ce n'est pas possible ! On ne pourra faire du roulage qu'en février-mars 94...