Essai de la Citroën Xantia de Jean-Luc Pailler
Saison 1994
Texte : Yves Bey-Rozet - Photos - Christian Chiquello
 
CHAPEAU !
Elle était censée apparaître l'an dernier, comme le modèle de série. Mais changer de monture en cours de saison n'est pas toujours indiqué, surtout quand on vole de victoire en victoire. Son championnat d'Europe, Jean-Luc Pailler l'a donc remporté exclusivement avec la BX. Pour 94, cette dernière devait obligatoirement disparaître du Rallycross comme des catalogues. Faleyras marquait donc la première apparition en France de la Xantia 4x4 Turbo et... sa première victoire !



Une solide équipe de fidèles, encore décidés à "bouffer" de l'Européen.
 

Cela n'a pourtant pas été aussi simple. D'abord, après vingt-trois victoires consécutives obtenues dans le championnat national par une vieille BX, la toute nouvelle Xantia ne pouvait se permettre de faillir - surtout en étant ostensiblement soutenue par le réseau Citroën. Ensuite, pour passer de l'une à l'autre, la bande à Jean-Luc ne s'est pas contentée de changer la carrosserie, loin de là. En fait, Thierry Le Guily, aidé de Pascal Le Tannou et Jean-Yves L'Hommelet, n'a récupéré que les freins de la BX.
 
Bien sûr, les similitudes sont nombreuses, à commencer par la fameuse suspension hydropneumatique, sacro-saint apanage des Citroën haut de gamme. Une voiture de course bardée de petits tuyaux, dépourvue de combinés ressort-amortisseur, mais dont les suspensions sont surmontées de sphères et dont le tunnel central arbore une panoplie de petits robinets, ça surprend toujours.

Mais bon, cela fait partie du patrimoine et semble réussir à Jean-Luc Pailler. A l'inverse, le train avant est né d'une feuille blanche. Pour commencer, il n'utilise plus, comme la BX, des porte-moyeux, modifiés certes, mais d'origine à la base. Du coup, la Xantia ne se campe pas comme sa mère, sur un train avant élargi mais tout simplement large. Avec les conséquences bénéfiques que cela entraîne sur les empilages d'élargisseurs et les déports à la limite du raisonnable. Normal, née en 82, la BX n'en pouvait mais et commençait à déborder de partout.

Cependant, si d'origine la Xantia est plus large que la BX - plus de 5 cm -, elle est aussi bien plus longue : de quelque vingt centimètres, dont une dizaine sur l'empattement. Vous avez dit maniabilité ?

Pour l'instant, le train arrière reprend des bras tirés de série renforcés, qui devraient être remplacés en cours de saison par des pièces spécifiques mécano-soudées. Sans trop de modifications géométriques toutefois car, en disputant deux championnats, Europe et France, dans lesquels la concurrence a les crocs de plus en plus affûtés, il n'y pas vraiment de temps pour se lancer dans les fioritures.
 


Remis en long et en vertical, le Turbo 16 conserve
le superbe collecteur d'admission à géométrie
variable (après modification pour fermer le capot).

Autre lien d'importance avec la BX, la mécanique, et quelle mécanique ! Pendant que l'équipe Pailler construisait la Xantia autour d'une coque Matter inédite, un autre fidèle parmi les fidèles du pilote brestois surveillait l'évolution du moteur. Daniel Balu est même le plus ancien des compagnons de Jean-Luc. Cet électronicien de talent est détaché par l'usine de Rennes quand on a besoin de lui. Avant la saison, il est donc passé à Trappes, où les motoristes de Citroën Sport se penchaient une nouvelle fois sur le quatre cylindres Turbo 16. Ainsi, grâce au Rallye-Raid (où sa cylindrée a fortement augmenté) et au Rallycross, Citroën perpétue l'épopée entamée par Peugeot avec ses 205 et 405 de tout poil, dont la surpuissante Pikes Peak, à qui cette Xantia très spéciale doit encore beaucoup.

Pour cette année, Citroën annonce pudiquement 525 ch avec 2,5 bars de pression. En fait, l'aiguille trahit que l'on en est déjà à 3 bars absolus et que, dans ces conditions, il est plus plausible de tabler sur 600 ch... minimum. Avec, à la clé, un couple d'environ 70 mkg, disponibles de 3 500 à 8 600 tr/mn. Vous avez dit dragster ?

Comme dans la BX, le T16 est longitudinalisé et verticalisé, pour s'accoupler à la traditionnelle boîte-pont SADEV. Son porte-à-faux étant à peine réduit par une petite flèche des demi-arbres. Mieux vaut ne pas trop leur donner d'angle, vu ce qu'ils ont à transmettre !

A gauche, à la base du pare-brise, se loge une sorte de cube qui est l'échangeur dont l'eau refroidit l'air de suralimentation. Ladite eau allant ensuite perdre ses calories à travers un radiateur normal, logé derrière la calandre. Quant au radiateur d'eau, il est installé dans le coffre avec ses ventilateurs solution classique en Rallycross.



Le poste de pilotage de la navette spéciale : des robinets pour régler l'altitude
de la caisse au millimètre et des aiguilles qui ne demandent qu'à se planter
de la genou.
 

Mise à feu !

Ce n'est pas le tout, l'instant redouté approche. Des pompes à feu, notre dur métier nous a déjà permis d'en déplacer quelques unes et non des moindres (tiens, la 405 Pikes Peak justement, c'était du mou de veau p'têt). Il n'empêche, dans les conditions du Rallycross, quand on n'y consacre pas toutes ses fins de semaines, ce n'est pas forcément tout bon. Pire ! Ce lendemain de course, et d'orages surtout, le magnifique circuit de Faleyras n'est plus qu'un bourbier style Carnet Trophy. Nous allons donc nous contenter de jauger la bête sur... la route ! Il n'y a pas de quoi en mener large.

Jean-Luc Pailler commence par chauffer le monstre. Je m'installe à côté de lui. Il lâche tout, sauf l'accélérateur et le volant... attendez, j'essaie de revenir. La tête part tellement vite en arrière que l'on se retrouve avec les oreilles sur les yeux. Tant mieux, ça évite d'avoir à appeler sa mère. Pendant ce temps, les vitesses se succèdent et l'enclenchement de la cinquième n'est même pas un soulagement car ça pousse toujours autant. Ahurissant !

A nous. Ce qui se passe est quasiment indescriptible car on voudrait tout surveiller à la fois. La pression d'air, parce que 3 bars, ça ne donne pas des coups que dans le dos mais aussi au cœur. Ah, le turbo, quelle belle invention ! Et puis, il y a le compte-tours. Dans un premier temps, on voudrait suivre la courbe du moteur, voir comment il vit, le bougre. Mais, en fait, si on le sollicite comme il se doit, c'est à dire à fond, on se dit qu'il ne faut pas rater l'aiguille ni le changement de rapport. Heureusement, la boite de vitesses et sa commande sont parfaites de précision. Au point de se dire qu'une boîte séquentielle n'apporterait rien de plus !


Contrairement à celui de la BX championne de France et
d'Europe, le train avant ne reprend plus de pièces d'origine.
Ca paie...
 

Avec l'imposante pelle avant et l'aileron arrière Rallye-raid,
l'aérodynamique n'est pas un vain mot.
Tant mieux car, à surveiller le tableau de bord, on néglige un peu la courte ligne droite bombée et poussiéreuse qui en profite pour serpenter. Dur, dur.

Un petit dos d'âne se présente au grand galop, avec l'éventualité de croiser un de ces pots de yaourts sans permis qui sévissent dans nos campagnes. Mieux vaut calmer le jeu. Une caresse sur les freins et vlan, la tête dans le pare-brise. Comme ils disent : "En Autriche, pour la première sortie, les freins avaient tendance à bloquer..." D'où un réglage pour les essais de Faleyras et, pour la course, une nouvelle pédale avec un tout autre rapport de démultiplication. Malgré cela, ça surprend ! Pourtant, et c'est l'essentiel, le pilote se montre satisfait et le prouve.

Sacré engin. Le Rallycross a le grand mérite de permettre de telles réalisations. C'est génial et, même si ce n'est pas nouveau, ça fait toujours drôle. Pas étonnant que l'aileron arrière façon Rallye-Raid en arrive à frôler le rail à 200 km/h ! Encore une fois, pas besoin de prendre 4 G en courbe pour proposer un formidable spectacle. Avec ses 1 032 kg et ses... 600 ch, la Xantia de Jean-Luc Pailler est une bombe, à qui nous souhaitons autant de succès qu'à la BX, championne de France et de Navarre.