A bride abattue...
Saison 1997
Texte : Vincent Caro - Photos : Vincent Caro et Jacques Privat
 

Initialement prévu sur douze épreuves, le championnat d'Europe s'est trouvé amputé des manches irlandaise et néerlandaise, les circuits de Mondello et de Valkenswaard ne correspondant pas aux nouveaux critères d'homologation en matière de sécurité. Après sept épreuves, le bilan pourrait paraître arrêté : six victoires pour les Escort contre une seule pour la Citroën d'Hansen. Le champion 97 pourrait pourtant bien être le pilote de la ZX, même s'il admet que le moteur souffre de la comparaison avec celui des Escort. Mais une nouvelle évolution est en préparation chez Citroën-Sport, et elle pourrait permettre au Suédois de bâtir son titre seul, sans plus profiter du partage des points entre les pilotes d'Escort. Car du côté de chez Ford, les Escort ont certes raflé la mise à six reprises, mais les lauriers ont été partagés entre trois pilotes (Hunsbedt, Schanche et Jernberg). Auteur de deux victoires, Hunsbedt mène la danse au championnat avec sept points d'avance. Sept "petits" points qui ne sont rien si l'on s'aventure dans de savants calculs de décompte de résultats. Avec ses trois victoires, Schanche devrait logiquement se placer en leader, mais comme souvent, ses sautes d'humeur (refus de rejoindre le parc fermé en Grande-Bretagne) lui coûteront un titre qui était à sa portée. A force de régularité, Jean-Luc Pailler occupe la troisième place mais aura vraisemblablement à la défendre jusqu'au bout face à Eklund et Jernberg.
 

Ford Escort RS2000 Turbo 4x4 de Ludwig Hunsbedt


Hunsbedt, Hansen, Eklund...
Chaud, chaud, le départ aux Masters de Hollande.
 

l'empreinte de Martin

Longtemps catalogué comme un pilote de Division 1 (aujourd'hui plus logiquement appelée Division 2), Ludvig Hunsbedt est le propriétaire de l'ancienne Escort de Martin Schanche. Un achat opéré en connaissance de cause, puisque le Norvégien au profil de bûcheron et à la peau de bébé, avait loué à l'année l'Escort en 96. Aujourd'hui, Hunsbedt mène au championnat à trois épreuves du but. N'appelez pas Cosworth son Escort, pas plus que celle de Martin Schanche d'ailleurs. Leurs Ford sont des RS2000 transformées et ils peuvent –et veulent – en être fiers. La décision de privilégier le modèle RS2000 à la Cosworth a été voulue, à l'origine, par Ford-Norvège. Dans ce pays où la police ne badine jamais avec les limitations de vitesses, l'importateur préférait promouvoir une sportive "civilisée" plutôt qu'une grande sportive souvent dans le cas des voitures de tourisme améliorées, l'appellation n'est rien moins qu'hypocrite. Que reste-t-il de la RS2000, sinon quelques grandes lignes de carrosserie et la calandre ? Le châssis est en carbone – Schanche en a lancé la mode en rallycross. Son but avoué était de concevoir la caisse la plus rigide possible afin d'optimiser et de mieux cerner le travail des suspensions.
 

"Au niveau du châssis, il n'y a que peu de différence entre ma voiture et la nouvelle de Martin, même si beaucoup d'observateurs pensent le contraire. Il est vrai que la mienne sous-vire beaucoup, tandis que celle de Martin a davantage tendance à survirer. Mais elles sont réglées très différemment, c'est tout. J'ai déjà adopté les mêmes réglages que ceux de Martin et la tenue de route est devenue fort similaire à la sienne, mais avec un type de conduite qui ne me convient pas. Mon principal défaut est d'entrer trop vite dans les virages, une mauvaise habitude prise en conduisant des Groupe N nettement moins puissantes. Pour être à l'aise et signer des chronos valables, il me faut forcer la tendance au sous-virage de la voiture. La suspension avant de mon Escort est exactement la même que celle de Martin. A l'arrière, en revanche, "ma" suspension est empruntée à la RS 200 Groupe B, alors que Martin a préféré une version Groupe A retouchée par ses soins. Ma boîte de vitesses est une X-Trac séquentielle, tandis que Martin a entièrement conçu la sienne, qu'il a voulue très compacte. Elle est plus niveau du poids : ma Ford pèse 1060 kilos, contre 1 030, soit le minimum autorisé, à celle de Martin. Mais à vide, la sienne ne pèse que 890 kilos, ainsi il a l'avantage de placer le lest là où il l'entend, pour influer sur la tenue de route et la motricité".

Accueillie avec beaucoup de réserves, voire beaucoup de critiques par les pilotes, la nouvelle réglementation visant à réduire la puissance des moteurs via un étrangleur au turbo a curieusement été mieux assimilée par Schanche et Hunsbedt que par Citroën : "Nous avons été les premiers surpris, admet Hunsbedt, mais il faut avouer qu'avec Martin nous avons dépensé sans compter pour parvenir à ce résultat. Tout le mérite en revient à Martin. Moi, je l'ai regardé faire et nous avons partagé les frais. Nous avons commandé neuf turbos différents, dont certains faits sur mesure, et passé six semaines à les tester au banc, accouplés à différentes brides. Le turbo retenu reste un turbo de gros calibre. En fait, nous avons surtout et l'angle de la bride étaient des paramètres encore plus primordiaux que le type de turbo lui-même. On est évidemment très fiers du résultat obtenu, mais l'investissement était disproportionné. On a perdu en puissance pure. Nous sommes redescendus à 568 ch exactement et on a aussi perdu un peu de régime, en passant de 10 500 à 9 700 t/mn. Mais le verdict du chronomètre est toujours le même : la voiture se maîtrise mieux et cela se ressent surtout sur la terre. Au début, nous avions aussi pensé qu'il nous faudrait réétudier la boîte et ses rapports. Ce que nous avons fait, avant de finalement revenir à celle de 96! Le seul rapport qui ait véritablement varié est le quatrième".
En pompiste qu'il a été, en pilote sponsorisé par Statoil, Hunsbedt ajoute une autre fierté à son discours : pour lui, et en fonction des indications récoltées par Schanche au chevet du banc moteur, son pétrolier lui a développé une essence améliorée, à forte teneur en oxygène, laquelle permet aussi au moteur de mieux digérer les effets de l'étrangleur. Sacrée bride : elle semble avoir plus débridé les cerveaux qu'elle ne réussit à brider les moteurs !
 

Le moteur d'Escort qui fait rêver tous les
pilotes de D1 Européenne ou Maxi-tourisme
français. De la puissance, du couple
et quelle que soit la boïte, X-Trac pour
Hunsbedt, "maison" pour Schanche.

L'allègement a été le souci majeur de l'Escort
de Schanche : 140 kilos (!) d'écart entre sa
voiture et celle d'Hunsbedt...
avant le lest obligatoire.
Saab 900 Turbo 4x4 de Per Eklund


 

Construite pour convaincre... Saab !

Sans avoir connu la même gloire que les Mikkola, Waldegaard ou Alen, le Suédois Per Eklund n'en a pas moins été une des figures de proue du championnat du monde des rallyes, à l'époque des Saab 99. Toyota Corolla et Audi Quattro. Il reste, avec Stig Blomqvist, le pilote le plus populaire de Suède et il doit cet honneur à un capital sympathie naturellement entretenu. Eklund a toujours eu un faible pour le rallycross : même à l'apogée de sa carrière de rallyman, le Suédois d'Arvika (ville dont est aussi originaire Kristoffersson) continuait de se produire sporadiquement en rallycross. Il n'a amorcé son retour définitif qu'à la fin des années 80, à l'époque où les Groupe B faisaient la renommée de la discipline. Aujourd'hui, il a complètement abandonné ses activités en rallye et se consacre exclusivement au Rallycross. Après quatre saisons en Subaru, déclinées en Legacy, puis en Impreza (biturbo !), Eklund en est revenu à la marque de ses premières amours, Saab : "L'aide de Subaru était surtout symbolique. Les portes de Prodrive m'étaient toujours grandes ouvertes grâce à l'amitié de David Richards, mais il me fallait trouver tout le budget. Erik Carlsson m'a alors poussé à revenir chez Saab. Le service des Relations publiques de Saab a accueilli favorablement l'idée, mais ne pouvait me promettre aucune aide. Du moins pas dans l'immédiat ! Mais Erik Carlsson et moi-même pensons que Saab devra, un jour ou l'autre, se refaire une image sportive. Alors on prépare le terrain !". La décision de construire cette Saab 900 Turbo 4x4 n'a été prise que très tardivement, mais Eklund et son équipe réussissaient l'exploit de la terminer en une quinzaine de semaines. Et les Suédois de débarquer en Autriche, pour la première épreuve du championnat, le jour des essais, avec une voiture qui n'avait pas encore parcouru le moindre mètre... Eklund n'en a pas moins terminé troisième, devant les Citroën !



Eklund a dessiné et fait fabriquer toutes les pièces moteur
que Trollspeed a assemblées et mises au point. Un 2,3 litres
remplacera bientôt le 2 litres actuel.
 
 "Pour nous, c'était déjà une victoire, poursuit-il, pour construire cette Saab, j'ai exploité tous mes contacts de 20 ans. Nous nous sommes mis nous-mêmes à l'ouvrage. Par facilité et confiance en sa fiabilité, j'ai prélevé la transmission de la Subaru. Cela m'a obligé à positionner le moteur longitudinalement, alors qu'il est transversal sur la version d'origine. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons conçu notre propre châssis, rigidifié par des panneaux de carbone collés à la structure tubulaire. Pour le moteur, je dois avouer que je me suis laissé inspirer par les solutions techniques adoptées par les pilotes Ford. Nos fournisseurs sont d'ailleurs les mêmes, sauf pour les pistons, qui sont produits par Ornega, l'un des sous-traitants de Prodrive. Une fois que toutes les pièces ont été réunies, j'en ai confié l'assemblage à Trollspeed en Suède. La culasse est spéciale : utilisant le moule d'origine, Saab en a fabriqué une plus résistante. Pour l'instant, le moteur est un 2 litres, alors que mon idée de départ était de faire un 2,3 litres. J'ai toutes les pièces, mais le temps manque pour l'assembler et dégrossir ses réglages au banc moteur. Comme l'objectif initial était le 2,3 litres, nous n'avons pas cherché à gagner du poids à tout prix. Aujourd'hui, la voiture pèse I 100 kilos, soit exactement le poids mini pour une voiture de 2,3 litres. En revanche, avec notre deux litres actuel, on traîne un excédent de poids de 70 kilos. Toujours à propos de poids, là répartition des masses n'est pas aussi idéale que je le voudrais. La Saab est encore trop lourde de l'avant, ce qui est plutôt bon pour les départs, mais gênant pour son comportement. Pour compenser, plusieurs pièces satellites, y compris l'alternateur; ont été installées à l'arrière du moteur, juste derrière l'axe des roues avant. A défaut de pouvoir le placer plus en arrière, nous sommes parvenus à positionner le moteur très bas. Par rapport à la Subaru, qui pourtant était équipée d'un boxer, le vilebrequin du moteur Saab est 13 cm plus bas". De tous les pilotes du championnat d'Europe, Per Eklund est sans doute le moins critique à l'égard des brides de turbo. Toutefois, il fustige le pouvoir sportif concernant sa décision d'imposer des pneus slicks retaillés en toutes circonstances, même en cas la bride de 45 mm, je dois avouer que je partais de zéro avec le moteur de la Saab. Les autres ont dû "reconcevoir" leur matériel. "Au début, on a bien cassé deux ou trois turbos, mais on maîtrise mieux la situation aujourd'hui. Le problème, c'est qu'on se trouve entre deux chaises : nos turbos de 96 sont trop gros pour s'accommoder de la bride et les turbos des voitures de. rallyes sont sous-dimensionnés, parce qu'ils doivent composer avec une bride de 34 mm. La bride a nivelé les puissances et a rendu les moteurs beaucoup plus dociles. On réapprend à devoir changer de vitesse au meilleur moment, à exploiter au meilleur régime. On a perdu de la puissance pure, mais excepté aux départs, nous sommes souvent plus rapides que l'an dernier, tout simplement parce que le moteur travaille mieux".
 
Audi Coupé S2 de Tommy Kristoffersson



 

Hybride !

Parti d'un produit 100 % Audi en 93 – l'année de l'après Groupe B – le géant suédois, Tommy Kristoffersson, en est arrivé aujourd'hui à une Audi que l'on pourrait qualifier d'hybride, avec un châssis "fait maison", une transmission X-Trac et une suspension Sachs, inspirée de celles des modèles jadis utilisés par la maison d'Ingolstadt sur ses Audi V8 de circuit. La transition, en fait, fut longue et à l'époque des grands débuts du Coupé S2, Kristoffersson n'avait pas les mains aussi libres qu'aujourd'hui.
 

Il lui fallu du temps pour faire admettre aux ingénieurs allemands que la gestion électronique et les arbres à cames du moteur IMSA 20 soupapes n'étaient pas appropriés pour une utilisation en rallycross. "Au départ, avec le soutien d'Audi, nous disposions d'une caisse type Groupe A rallye, propulsée par un moteur de circuit, l'IMSA, surpuissant mais pas assez souple" explique Kristoffersson. "Le résultat était satisfaisant, mais la concurrence poussait la sophistication toujours plus loin. Il nous a fallu nous résoudre à construire notre propre châssis tubulaire, avec l'objectif d'abaisser au maximum le centre de gravité. Et puisque nous "reconcevions" la voiture, nous en avons profité pour adopter une transmission X-Trac en lieu et place de la transmission d'Audi. Au fil des ans, le support d'Audi-Allemagne s'est réduit. Ils étaient très occupés par leur implication dans différents championnats de Tourisme et le Coupé S2 ne correspondait plus vraiment à l'image renouvelée de la marque. On s'est donc retrouvé de plus en plus isolés". Julian Godfrey, le jeune sorcier anglais qui avait insufflé plus de chevaux dans le moteur de la Ford RS 200 de Doran qu'il n'y en avait peut-être dans la voiture de Schanche, a rejoint le Team de Kristoffersson. Et bien qu'elle était surpuissante à souhait, l'Audi n'a pas trop mal accepté la bride : "Fondamentalement, on utilise toujours le moteur IMSA, mais nous sommes revenus à un bloc en acier à la place du bloc en alti. Nous avons aussi dû changer tout le système d'allumage et, du Zytec, nous sommes passés au Motec australien, sans oublier les arbres à cames. Pour résoudre le problème de la bride, on s'est retrouvés encore plus seuls : avec notre cinq cylindres, on ne pouvait guère profiter de l'expérience des autres. On a au bas mot consacré un budget de 100 000 marks allemands !" Kristoffersson se serait bien laissé tenter par la construction d'une nouvelle Audi A4 ou même d'une Volvo 850. Cette dernière lui permettrait de pouvoir conserver le cinq cylindres, la gamme Volvo s'étant enrichie d'une version identique. Mais le règlement ne l'y autorise pas. Momentanément du moins. "Le problème, indique l'immense (deux mètres !) Suédois, est que ni l'Audi A4 ni la Volvo 850 ne sont homologuées en Groupe A. Elles ne le sont que pour le Super Touring. J'ai soulevé le problème avec les dirigeants de la commission Off-Road européenne et ils semblent qu'ils soient disposés à élargir le cercle des voitures admises à partir de 99. Ce serait, je crois, une bonne chose. Sinon, il me restera encore la possibilité de rouler en Skoda Octavia. Parallèlement au développement de la kit car, un ancien ingénieur du département sportif a monté une 4x4 qui correspond à notre réglementation rallycross. Je devrais pouvoir l'essayer en fin de saison".
Le Moteur Imsa de 800 chevaux a été complètement
revu par l'Anglais Julian Godfrey (allumage Motec, bloc
moteur acier, arbres à cames).
Du couple avant tout !
 

Beau partage du marché des transmissions
entre X-Trac (Hunsbedt, Kristoffersson) et
le français Sadev (Hansen, Pailler)