Il n'y a pas que le pognon dans une vie de pilote | |
Saison 1997 | |
Texte
: Vincent Caro - Photos : Vincent Caro et Jacques Privat |
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Avertissement : La lecture de cet article peut
provoquer chez un sujet sensible, accro du pilotage et avide de sensations
fortes, des lésions irréversibles s'accompagnant de fortes pulsions. En fait
la découverte de quelques chiffres ainsi que le choc lié à l'effondrement de
bon nombre d'idées reçues peut irrésistiblement vous mener à vous poser la
question : pourquoi pas moi ? |
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C'est comme ça et
personne n'y pourra jamais rien, le spectateur lambda (à ne pas confondre
avec le spectateur moyen) pense toujours que la course automobile coûte
cher, et qu'ils ont bien de la chance tous ces pilotes d'avoir des gros
sponsors qui leur permettent de s'amuser le dimanche. En fait, il faut
savoir que l'ère des gros sponsors qui donnent pour s'amuser le dimanche a
bel et bien disparu. Cependant, une précision s'impose, le sponsor n'existe
que grâce au pilote (ou toute personne ou association qui réclament des
ronds). Tant qu'il ne donne pas, ce n'est qu'un entrepreneur normal. Lorsque
curieux, le chef d'entreprise ouvre fébrilement l'enveloppe qui recèle votre
demande de budget et rappelle aussitôt pour dire oui, instantanément il
devient sponsor. C'est bien simple, avant ce courrier il ne savait même pas
qu'il pouvait mettre son argent ailleurs que dans un appartement à la
montagne ou à Trouville-les-Bains. Bref, c'est de la faute des pilotes s'il
y a des sponsors et inversement (en liquide si possible). Cependant, à force
d'être traqué, débusqué, voire cerné, le sponsor n'existe plus, il n'y
a plus que des partenaires. Des personnes qui misent sur la publicité qu'ils
pourront faire en apposant quelques autocollants sur une voiture de course,
et surtout sur l'image qu'ils pourront en donner. Dans les exemples qui vont
suivre, les budgets évoqués ne donneront pas le tournis, tout juste l'idée
que le sport auto n'est pas si inaccessible que l'on veut bien le dire. Si,
de plus, ils pouvaient donner l'idée à des partenaires éventuels de
développer leur image avec ceux-ci.... |
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Trois
pilotes de trois divisions différentes. Seul point commun, mis à part une
passion dévorante et un budget serré, celui de dépenser dans l'année 7 650 F
d'engagements pour neuf épreuves. Vous noterez que bien que "peu argentés",
ils firent le déplacement à Lavaré qui ne comptait pourtant pas pour le
championnat. Attaquons par la Production avec le cas de Stéphane Dréan, il n'est pas le plus pauvre mais ne nage pas non plus dans l'opulence. S'il fait riche c'est qu'il a su entraîner derrière lui une équipe qui préfère faire envie que pitié. Alors les queues de budgets et le temps libre, ils les ont investis dans une semi qui sert autant pour le transport et la mécanique que l'hébergement et l'accueil des VIP. Stéphane dispose par le biais de SD Sport (une petite quinzaine de bénévoles par course) d'à peu près 120 000 F dans l'année. De quoi faire correctement une saison en Clio, mais ce budget est assorti de coups de main, ce qu'on appelle des échanges produits. Pour commencer par le début, Stéphane dispose donc d'une structure, tracteur et semi. Le Bris, spécialiste du poids lourd à Noyal, entretient l'ensemble. Hervieux, le sponsor des débuts, "C'est grâce à lui si j'en suis là aujourd'hui", note Stéphane, paye le gasoil pour le transport tandis que JB assistance s'occupe du gardiennage de la structure entre les courses et de la rénovation de la semi pendant l'hiver. Une fois le problème logistique élucidé, (après avoir réglé pour 10 kF de péages d'autoroute dans l'année !) il ne reste plus qu'à courir. Stéphane a débuté tout jeune en Autocross sur la Golf de son père inutilisée depuis quelques années. Avec cette première mise de fonds, il a pu s'acheter une 5 GT qu'il engagea en Rallycross, puis une Sierra et enfin cette Clio. Profitons de cette Clio pour parler de Sidexa. C'est le partenaire principal de Stéphane à plusieurs titres car il est aussi son employeur. Sidexa développe et commercialise des logiciels de chiffrage pour experts auto dans le cadre de collisions. En faxant à tous ses clients experts, Sidexa n'eut pas de difficulté à trouver une Williams en épave. Ensuite, Stéphane a pu acquérir une coque Renault Sport toute prête auprès de Jacky Deborde, monter un moteur Cupissol et des suspensions qui vont bien, toujours aidé par les camarades de SD Sport. Bilan, un peu moins de 100 000 F. Cet investissement est amorti sur plusieurs années, et il faut compter, pour rester au top, sur 30 kF de révisions à chaque intersaison entre le moteur, la boite et les liaisons au sol. "Avec ces brise fers du Rallycross, faudrait p'têtre bien parler carrosserie", susurre un spectateur attentif. Soit, Renault Quiberon prend en charge toute la tôlerie de la saison ainsi que les réglages de trains entre chaque épreuve et nous arrivons à un chapitre délicat côté budget : les pneus ! "La lutte est tellement vive avec les M3 mais aussi entre nous qu'il faut passer environ deux pneus par épreuve, parfois quatre quand tu as tout usé, bilan 20 pneus pour 34 000 F ! Inutile de dire que j'attend beaucoup de la prochaine réglementation pneumatique que ce soit au niveau usure ou niveau prix !" Autre chapitre important lorsque l'on veut soigner son annonceur celui du réceptif. Stéphane explique : "Sidexa profite du spectacle du Rallycross pour convier le dimanche midi une vingtaine de clients par course. Je m'occupe de trouver un traiteur, souvent sur le conseil de l'organisateur. Grâce à ces opérations mes partenaires trouvent une raison supplémentaire de me soutenir. Mais parfois des droits de réceptifs sont exigés par les organisateurs et ça augmente sérieusement les coûts. Je comprends que les organisateurs défendent leur gagne-pain mais à mon niveau, ça peut compromettre la reconduite des budgets. Sinon, le reste du week-end, c'est le magasin Champion à Auray qui nourrit toute l'équipe. Encore un échange produit qui satisfait tout le monde !" |
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Remettez des piles dans votre calculette, nous arrivons en division Tourisme
et pas n'importe où, chez Jean Claude Lemoine, pilote émérite d'une 306 kit
car Ev. 1. Les prix pourraient flamber mais rassurez-vous, il n'en sera rien
! Jean Claude est carrossier dans l'entreprise familiale et passe tout son
temps entre la carrosserie et sa 306 sur laquelle il fait tout lui même. Son
budget est de 75 000 F à répartir entre Yacco et plusieurs annonceurs
locaux. Jean Claude a une façon toute personnelle de gérer son budget. Il
dépense tout en début de saison pour faire évoluer sa voiture. Comme ça, il
y voit plus clair ensuite ! "C'est un peu ça", confirme Jean Claude.
"En fait, j'ai les envies plus grandes que le porte-monnaie, je regarde
quelles évolutions je peux faire et si elles correspondent à mes moyens, je
les fais. Je suis passé ainsi de la 309 GTi 16 à la 306 S16, puis à la 306 à
moteur kit car, et depuis le début de l'année à la 306 Maxi. Fin 96, j'ai
demandé un devis à Peugeot Sport pour passer ma 306 S16 groupe A en Maxi.
J'hésitais entre le développement de mon moteur et celui du châssis. Comme
je craignais de rencontrer des problèmes de tenue de route en augmentant la
puissance, j'ai préféré améliorer le châssis. Le devis se montant à 80 kF,
je l'ai épluché et découvert que l'aileron coûtait 6 000 F. Je ne l'ai pas
pris : comme ça, j'étais juste à mon prix ! Quand j'ai payé Motter, mon
budget de la saison était bouffé ! Je pars du principe qu'une fois
l'évolution faite, il ne faut pas qu'il m'arrive de pépins parce qu'après
c'est avec mon argent perso que je joue. Ce qui m'a sauvé la saison, c'est
de pouvoir acheter un lot de dix pneus usés de Cathy Caly. Il m'a coûté 3
000 F et j'ai fait quasiment toute la saison avec. Bon, je suis passé sur le
toit à Bergerac, mais c'était ma faute, c'est déjà moins rageant que quand
c'est un collègue qui t'y mets ! J'ai eu un pavillon et deux ailes à
changer, comme c'est mon boulot, ça a été. Pierre Alain France a été sympa
avec moi, j'ai pu lui acheter deux ailes pour pas cher. Et puis la
solidarité dans le paddock existe. Je n'aime pas déranger mais si j'ai
besoin d'un étau ou d'un poste à souder, je sais où aller et je suis
toujours bien reçu. L'autre fois, c'est Christian Dieu qui est venu me voir
pour me donner un conseil au niveau tenue de route. En fait je fonctionne
avec les primes d'arrivée (environ 25 kF cette saison). C'est clair que
lorsque tu montes sur le podium, la vie est plus facile ! Et quand tu n'as
rien à faire sur l'auto, la saison ne coûte pas grand chose. Nous, on fait
tout nous même, c'est la débrouille, je récupère encore des pièces de la 309
pour mettre sur la 306. Comme j'étudie à fond la fiche d'homologation, je
réussis à trouver des équivalences. Par exemple, il y a une rotule sur la
306 qui est la même que sur la 309 et la même que sur la 205 T16 350 ch,
alors d'occasion tu trouves. Je ne devrais pas dire ça, les gens de la
boutique Peugeot Sport sont si sympa (rires) ! Je sais que ma manière de
fonctionner n'est pas très conventionnelle mais il n'y a que comme ça que
j'arrive à évoluer, autant en matériel que dans ma manière de conduire ou de
régler l'auto. C'est sûr que moralement ce n'est pas très tranquille. Je me
souviens, lorsque j'avais la 309, j'attaquais sans arrière pensée.
Maintenant, vu le prix de ma voiture, quand j'approche trop près du rail, je
lâche, mais d'un autre côté, je sais aussi que le jour où je revendrai ma
306, j'arrêterai de courir. La Maxi c'est comme un aboutissement pour moi,
alors je vais encore pousser pour pouvoir me servir de mon jouet !" Cap maintenant sur la division Maxi-Tourisme, où vous pourriez imaginer tout de suite un budget démesuré. Détrompez-vous. Là encore, il y aura surprise et n'allez pas croire qu'il faille aller en fond de parc pour trouver des économes. C'est ni plus ni moins celui qui a terminé ex-æquo en tête du championnat : Michel Liger qui nous expose avec quelles moyens il fonctionne. "J'ai commencé en Rallycross, grâce à la revente de ma monoplace d'Autocross et du camping-car : 190 000 F dans la tirelire. Nous avons pu acheter deux moteurs, le six cylindres 3,5 L, un Roc Turbo et construit la BM, c'était en 1991". A part CML (Carrosserie Michel Liger) qui donnait 20 kF, Michel n'avait aucun sponsor et allait sur les courses avec un vieux C25 et une remorque faite maison. Plus tard, il trouve un camion acheté 20 000 F qu'il aménage avec ses copains en transporteur/habitation. Michel a toujours construit entièrement ses voitures avec l'aide Ô combien efficace de son beau frère, Alain Bonneau, une sorte de cerveau à pattes en perpétuelle ébullition. En 94, grâce à Citroën Mayenne, Michel obtient une caisse de ZX. La revente, 200 000 F, de la BMW permet la construction de la ZX. Le plus cher, à l'époque, sera le calculateur électronique, 20 kF. Le reste est en stock comme le Roc Turbo et la boîte de vitesses, puisque Michel avait acheté à Bruno Warnia un stock de pièces de boîte Hewland F1. En ressoudant des pignons sur l'arbre primaire et en usinant de nouveaux carters, Michel dispose de presque trois boîtes avec plusieurs étagements possibles. Les suspensions sont faites maison à partir de vérins de XM dénichés à la casse (100 F pièce), de même que l'arceau et les triangles construits avec 1 500 F (quand même) de tubes. En récupérant un rouleau de fibres de carbone, Michel peut monter à l'atelier la carrosserie et un plancher en kevlar carbone. Après plusieurs insistantes demandes auprès de Citroën Sport, Guy Fréquelin, condescendant, offre des transmissions, des ponts de ZX première génération ainsi que 8 porte moyeux. Pour Michel, il reste le système de freinage à monter. Direction la casse où des pièces de DS, de CX et de XM serviront à freiner efficacement le bolide. Chez Altuglas, on a pas oublié le Rallycross et Michel aura (à prix d'ami) de quoi vitrer sa ZX. En 95, l'année commence bien puisque Michel trouve en Continental Express son premier gros sponsor qui lui offre 44 pneus. Hélas, un accident cardiaque écarte Michel des pistes cette année là, mais les pneus dureront jusqu'à Lohéac 97. Alain Bonneau profite de cette arrêt forcé pour construire un nouveau moteur, le Roc n'étant plus homologué. Autant dire tout de suite que cette motorisation ne coûtera pas le prix d'un pavillon, même en banlieue ! Sur la base d'un 405 turbo acheté 3 000 F à la casse, Alain ne gardera que la culasse qu'il associera à un bloc fonte de ZX diesel de même provenance. Brunetti leur vend un vilebrequin de T16 à bas prix, ce sont les bielles achetées en Belgique qui reviendront le plus cher : 8 000 F. Ajoutons 1 600 F pour des pistons et segments de série (toujours pas usés) et 2000 F pour des arbres à cames. Sybele leur fournit la cartographie, alors qu'Alain trouve, à Nice, un banc moteur à la dimension de leurs performances. Un banc où sont testés les moteurs d'off-shore ! C'est ce moteur qui a terminé à égalité avec Christian Ménier l'exercice 97. Un exercice faste puisque Michel dispose de 85 000 F avec l'appui de JCB Autos, BSI Formation, Aluvan, SIM et Total. Le pétrolier offre tous les lubrifiants ainsi que les carburants : voiture de course et camion. "Il faut à peine 10 kF de budget mécanique pour deux disques d'embrayage (avec mécanisme !) et un turbo d'occasion qu'Alain révise." Michel peut aussi compter lors des courses, sur sa bande de copains (une vingtaine à chaque repas), qui ont tous leur fonction, et ça, ça n'a pas de prix ! |